Le débat sur les accommodements raisonnables, un an après son apogée

La deuxième place à Raphael Guévin-Nicoloff de l’Université Carleton à Ottawa

Raphael Guévin-Nicoloff

Le phénomène de l’arrivée de nouvelles populations a toujours été un élément clef pour le Canada, un pays caractérisé comme étant une terre d’accueil. Dû à un faible peuplement et un immense territoire, l’immigration s’est toujours imposée comme une nécessité pour le développement. Ce phénomène s’est trouvé accentué dans les provinces les plus dynamiques, comme en Ontario et au Québec. Pourtant, récemment, ce modèle d’accueil a été mis en question par des confrontations culturelles, qui a suscité un débat sur la question des accommodements raisonnables. Ce débat a été un enjeu électoral majeur durant les élections provinciales de 2007 au Québec. Suite à ce débat, une commission a été instaurée pour prévenir les heurts à caractère ethnique. Un an après, nous nous proposons ici, d’en étudier les effets sur la société québécoise.

La question de l’immigration, vue par une terre d’accueil.

Étant un enjeu de rivalités franco-britanniques, le Canada représenta très tôt une course au peuplement pour qu’une des deux nations puisse légitimement nommer le territoire comme étant sa colonie. Lors de la déclaration de son indépendance, le pays comptait moins de 4 millions d’habitants1. À ce moment, la maîtrise d’un aussi vaste territoire n’était bien entendue pas achevée, ce qui était un argument de taille en faveur d’une politique d’immigration. On incitait des populations à s’installer au Canada pour participer à la semence et à la récolte des plaines de l’ouest2.

On trouve aujourd’hui des défis démographiques avec quelques similitudes, avec une densité moyenne avoisinant les 3 habitants par kilomètre carré, l’immensité du territoire est loin d’être conquis. Dans l’optique d’une dispute internationale sur la possession des îles arctiques, potentiellement garantes de pétrole, le peuplement du grand nord canadien serait un atout important3. Enfin, et c’est ici la principale raison pour l’importante immigration au Canada, le taux de fécondité n’est plus assez élevé pour maintenir la croissance économique 4. Il faut aussi mentionner l’aspect dynamique de l’immigration canadienne dû à la politique mise en place5. En effet, trois aspects sont envisagés lorsque qu’une demande d’immigration est considérée, s’il s’agit soit d’un réfugié, soit d’un rapatriement familiale ou en enfin d’une immigration économique, dans quel cas le candidat est susceptible d’être facteur de croissance économique pour le pays. Il suffit d’observer nos habitudes alimentaires, désormais infiniment plus internationales que par le passé, ce qui est garanti par la diversité culturelle reflétée par les nombreux genres de restaurants présents partout au Canada. De plus, le taux d’accroissement naturel au Québec se trouve inférieur à la moyenne nationale, ce qui n’exclut pas la province de l’immigration nécessaire pour simuler sa croissance économique. Comme pour tout pays développé, il est improbable que le Canada retrouve dans son avenir des taux de fécondité satisfaisants en termes de croissance, ce qui maintient son recours à une immigration continue.

Le débat sur les accommodements raisonnables, une situation née de différents heurts culturels.

Malgré cette nécessité que représentait l’immigration pour la société québécoise et canadienne en général, elle a donné lieu, dans un passé récent, à des questions qui ont menacé l’unité sociale. Le premier témoignage du désaccord profond sur les libertés accordées aux minorités au sein de la communauté québécoise, est intervenu en Novembre 2001 lorsque le kirpan du jeune Gurbaj Sing Multani est tombé dans la cours d’école. Son refus de se séparer de son couteau, signe de sa religion, a entraîné son exclusion de l’école. Plusieurs jugements contradictoires ont été donnés lors de différents procès, mais en Mars 2006, la Cour Suprême du Canada a tranché en faveur du jeune Sikh, tout en lui imposant des restrictions quant à l’accessibilité de sa lame6. Au cours de cette série de procès, une grande division s’est fait sentir entre les habitants du Québec, nombreux prenaient parti pour la défense de la liberté religieuse, alors que d’autres s’inquiétaient de la violence même symbolique de ce signe religieux. Plus récemment, à Montréal, l’affaire Amselem a fait resurgir ce débat sur la liberté religieuse accordée aux communautés7. Pour une certaine fête juive, il était de tradition d’ériger, à l’extérieur de son logis, une petite hutte appelée Souccah, qui servait de maison pour la durée de cette cérémonie religieuse. Dans un contrat de copropriété, signé par une famille juive intégrant un condominium à Montréal, il était stipulé que les constructions étaient interdites sur le balcon. Étant revenus sur leur décision, la famille a souhaité donner cours à sa tradition religieuse, ce qui nécessita l’intervention d’un tribunal qui devait trancher entre le droit de copropriété et la liberté religieuse. Le tribunal trancha en faveur de la famille juive, provoquant de nouveaux émois dans la société québécoise. Pourtant, l’événement médiatique le plus diffusé sur ces tensions entre communautés a été la décision d’une installation sportive de Montréal de faire teinter ses vitres par respect pour la communauté hassidim, qui considérait inacceptable que ses enfants aperçoivent des adultes peu vêtus8.

Alors qu’un débat sur les accommodements raisonnables était donc déjà en cours au Québec, soulevé par des questions d’immigration, il prit soudainement de toutes autres proportions. Ce tournant s’est effectué dans un petit village québécois, passé instantanément de l’inconnu au statut de célébrité, il s’agit de la municipalité d’Hérouxville. C’est en effet dans cette région de la Mauricie en Janvier 2007, que le conseil municipal a dévoilé une charte de conduite destinée à tout nouvel arrivant potentiel9. Sans pour autant posséder un caractère juridique valide, le code de vie est la source d’une importante controverse. Comment donc une telle publication, si choquante soit-elle, venue d’un village dépourvu de population issue de l’immigration, a-t-elle déclenchée une vague d’émotions si fortes au sein de la province, allant même jusqu’à susciter des réactions à l’extérieur des frontières canadiennes?

Du débat à la polémique, le rôle des médias et de la classe politique.

Il est indéniable que la préexistence de ce débat sur l’immigration et l’accommodement des minorités culturelles a joué un rôle important dans l’impact de cette déclaration du conseil municipal d’Hérouxville sur l’ensemble de la province. L’intérêt que les médias ont portés à ce code de vie fût tel que les accommodements raisonnables, que c’est devenu un enjeu électoral majeur pour les élections provinciales de 2007. S’il est vrai que la question a surgit sur la scène politique grâce à une très forte répercussion dans les médias, il n’en demeure pas moins que la réaction des chefs des différents partis et la place du débat dans la campagne a empli les bulletins de nouvelles jusqu’au jour du scrutin.
Pourquoi donc cet impact aussi imprévisible? Tout simplement car le sujet a divisé les partis, permettant à de nombreux électeurs de trancher en fonction des différentes réactions. À ce jeu, c’est incontestablement le chef de l’Action Démocratique du Québec, Mario Dumont, qui l’emporte. Il a en effet ramené le débat au devant de la scène et a arboré, contrairement à ses adversaires, une position claire et radicale, accusant même le gouvernement Charest de se distancer du débat simplement pour éviter des retombés politiques « On va parler d’immobilisme […] C’est la position où les libéraux sont à leur meilleur » (cite). Il s’est fortement démarqué de ses rivaux sur le sujet en déplorant le « recul sur les valeurs communes » qui a eu lieu au Québec et qui a donné lieu aux actes d’Hérouxville. L’attention médiatique qui lui a été portée par cette habile manœuvre explique en grande partie le surprenant succès qu’a connu le parti, auparavant modeste, en mars 2007. En effet, l’Action Démocratique du Québec ne comptait que 5 sièges sur 125 lors de la 37e législature de l’assemblée nationale du Québec10, alors qu’après les élections de mars 2007, l’ADQ remportait, aux dépends du Parti Québécois, le titre d’opposition officielle, avec 41 sièges11.

La commission Bouchard-Taylor et ses conclusions, un effet catarcique.

Face à tant d’émois, tant en métropole qu’en pays rural, probablement dû à un immense effet médiatique, le premier ministre du Québec, Jean Charest, a décidé de confier à deux sociologues le soin de mener une enquête sur la question des minorités au Québec et de publier un rapport contenant des recommandations concernant leur traitement. Fidèle à la diversité culturelle du Québec, la commission rappelle l’importance des efforts concernant l’intégration des minorités, ainsi que de lutter contre inégalités et discriminations12. Si l’on reconnaît l’importance du caractère du droit à la liberté religieuse qui permet des exceptions aux normes de la société laïque (ce qui ne prime pas sur les règles générales, mais a le caractère d’une demande), on recommande tout de même un soutien financier pour les organismes qui s’engagent à veiller aux droits des femmes de minorités, parfois en danger. En respectant les normes plus souples d’immigration canadienne, le rapport ne va pas aussi loin que la loi sur les signes religieux en France, mais permet un début de restriction pour les hauts postes de la fonction publique comme la magistrature.

Fondamentalement, la commission aura eu pour principale conséquence d’avoir agit comme effet catalyseur en réponse à l’excitation médiatique au sujet du débat sur la diversité culturelle13. Le rapport se veut rassurant à ce sujet et renvoie l’image d’une société loin d’être déchirée comme elle y paraît dans les médias. Enfin, elle accentue l’importance de la compréhension du fait qu’il s’agit d’une responsabilité partagée, et que l’ostracisation qui a eu lieu sur la scène médiatique ne représente en aucun cas une solution souhaitable.

Des réactions timides et leurs conséquences sur le sort de l’Action Démocratique du Québec.

Les conclusions nuancées du rapport de la commission a permis au premier ministre de prendre quelques mesures lors de sa réaction à la publication de la conclusion, sans toutefois accuser un responsable. Sans remettre en cause le rôle de l’immigration au Québec, il réaffirme l’importance du Français au Québec14, « protéger et perpétuer la langue française » et envisage l’immigration comme un contrat passé entre l’arrivant et l’accueillant. De plus, les questions d’accommodements seront facilitées par un nouveau mécanisme, ce qui évitera le déchaînement des médias lorsque des négociations auront lieu pour admettre des exceptions, puisqu’elles ne devraient plus passées par des tribunaux dont les décisions sont souvent vues comme une défaite de l’un des deux partis.

L’effet catalyseur de la commission Bouchard-Taylor a eu des conséquences importantes sur la scène politique québécoise. En évitant un véritable conflit civil et en éloignant les ferveurs des concernés assez longtemps pour porter un nouveau regard sur une société qui, après tout, ne vit un véritable multiculturalisme que dans son importante métropole, Montréal, on a privé de sa raison d’être un parti qui se voulait contestataire. Ceci semble se matérialiser par la récente baisse de l’Action Démocratique du Québec, qui souffre en ce moment dans les sondages15. Non seulement les intentions de vote chutent, mais le parti de Mario Dumont perd de son unité avec le départ de deux élus, ramenant le nombre de sièges de l’ADQ à 3916.

Le Québec restera donc une société assez jeune et souple, car elle permet un débat de ce type, sans pour autant avoir des conséquences majeures. Ceci a permis de désamorcer la montée émotionnelle liée au débat qui aurait pu déborder sur une confrontation. Le tiraillement continuera, quoique diminué, mais il n’y aura pas de révolution. Le basculement dans la violence ne se fera pas à cause d’un débat médiatique si important soit-il. Ce dernier aura peut-être affecté la perception d’autrui aussi bien au sein de la majorité que de la minorité. Pourtant grâce à une réforme du processus garantissant les accommodements raisonnables, le poids médiatique sur la question devrait être diminué, même dans les milieux ruraux, plus en proie au manque de considération envers les minorités qui restent pour eux, inconnues. Il n’y a donc pas eu de répercussions sérieuses sur le traitement des minorités elles-mêmes. Aucune rupture n’a eu lieu, tant dans un sens que dans l’autre. L’on ne verra ni ouverture importante, ni un dramatique rejet du multiculturalisme. La société québécoise restera donc assez traditionnelle hors de Montréal, qui vit avec une importante communauté issue de l’immigration, mais tout chose étant égale par ailleurs, plutôt tolérante envers ses minorités.

Bibliographie

1 http://www40.statcan.ca/l01/cst01/demo03.htm?sdi=immigration
2http://faculty.marianopolis.edu/c.belanger/quebechistory/readings/CanadianImmigration PolicyLectureoutline.html
3 http://www.sr.se/cgi-bin/euroarctic/amnessida.asp?
4 http://www.statcan.ca/Daily/Francais/060927/q060927a.htm
5http://faculty.marianopolis.edu/c.belanger/quebechistory/readings/ CanadianImmigrationPolicyLectureoutline.html
6 http://www.cbc.ca/news/background/kirpan/
7 http://www.quebecoislibre.org/05/051015-6.htm
8 http://fr.altermedia.info/general/canada-des-clients-dun-ymca-denoncent-une-mesure-destinee-a-satisfaire-des-juifs-hassidim_9812.html
9 http://www.radio-canada.ca/radio/maisonneuve/29012007/82627.shtml
10 http://www.assnat.qc.ca/fra/Membres/deputes37l2se.html
11 http://www.assnat.qc.ca/fra/Membres/index.html
12 http://www.ledevoir.com/2008/06/16/194176.html
13 http://www.ledevoir.com/2008/07/02/195991.html
14 http://www.newswire.ca/fr/releases/archive/May2008/22/c3400.html
15http://www.lavantage.qc.ca/200810142982/editorial_et_point_de_vue/ quand_les_sondages_menent.html
16 http://www.assnat.qc.ca/fra/Membres/index.html